Photo Bertrand Jacquillat

Réformer radicalement le secteur bancaire – Par Bertrand Jacquillat, membre du Comité Stratégique d’ABV Group – 15/05/2023 – 

Le mariage d’actifs risqués et souvent illiquides avec des passifs constitués pour l’essentiel de dépôts, logés au sein d’établissements bancaires sous-capitalisés à la recherche légitime de profits pour leurs actionnaires, ayant des politiques de rémunération de leurs équipes de direction assises sur leurs performances, et par ailleurs réglementés par des fonctionnaires serviles au service de politiciens incompétents, constitue un équilibre que les économistes qualifieraient d’instable. 

Telle est pourtant la description faite dans le Financial Times par Martin Wolf du secteur bancaire américain, qui s’enflamme à intervalles de temps réguliers, et de plus en plus rapprochés. C’est la première leçon de la crise bancaire qui vient de se produire aux Etats-Unis avec la faillite, parmi d’autres, de la seizième banque américaine, la Silicon Valley Bank, mais aussi en Europe, bien que la régulation appliquée aux banques européennes soit plus stricte, avec le rachat sous l’égide de la Banque Nationale Suisse, de Crédit Suisse par l’Union de Banques Suisses. On se croyait à l’abri d’une nouvelle calamité après la violente crise financière survenue en 2008/2009, avec les réformes que celle-ci avait provoquée sous forme de réglementation et de surveillance bancaire plus strictes. Sauf que l’actuelle crise financière n’a rien à voir avec la précédente

Cette fois-ci, pas de produits financiers complexes et toxiques logés au sein de véhicules financiers opaques. La crise financière que nous venons de connaître est le bon vieux bank run revisité où les longues files de déposants faisant la queue au guichet de leur banque pour en retirer leurs fonds ont été remplacés grâce à la technologie : un simple click d’ordinateur suffit. Ce bank run des temps modernes s’est produit dans un environnement de remontée brutale de l’inflation. Avec les hausses de taux répétées et importantes des banques centrales pour la combattre, les déposants ont pris la décision rationnelle de transférer leur épargne dans des placements mieux rémunérés que leurs dépôts à vue. Dans un premier temps, ce n’est donc pas la santé et la viabilité de leur banque qui les préoccupait, mais l’appât légitime du gain.

Mais la hausse des taux a eu une autre conséquence fatale pour la SVB, dont la gestion des risques était déficiente, la dépréciation de son portefeuille d’obligations du Trésor américain qui figurait à l’actif de son bilan. La banque avait constitué celui-ci en procédant classiquement à ce qu’on appelle un carry trade ou encore maturity transformation : utiliser les dépôts, en principe stables, peu ou pas rémunérés des clients pour les investir dans des actifs mieux rémunérés, comme les obligations. Avec la hausse des taux, celles-ci perdent de leur valeur, et ce d’autant plus que leur échéance à maturité est lointaine, au moment même où elles doivent en vendre pour assurer le retrait de leurs dépôts à ceux qui le demandent. La peur de perdre leur épargne s’est substituée dans un deuxième temps à l’appât du gain et il a suffi de quelques heures le 9 mars dernier aux déposants de la SVB pour retirer près de 45 Mds $ de leurs comptes. 

Il arrive donc que les banques fassent faillite. Aujourd’hui lorsque cela se produit, ceux qui risquent d’y perdre se manifestent pour que l’Etat vienne à leur rescousse. C’est ce qui s’est produit avec les faillites récentes des établissements bancaires américains, où la garantie des dépôts (dans la limite de 250 000 $) a été étendue à l’entièreté des dépôts quel que soit leur montant. Cela se produit ainsi de plus en plus souvent, car les conséquences des faillites bancaires sont, directement (Crédit Suisse) ou indirectement (SVB et consorts par crainte de contagion à d’autres établissements financiers), considérées comme trop dangereuses pour l’économie et la société. Ironie de cette situation, les déposants qui ont crié le plus fort pour cette généralisation de la garantie, sont des personnalités de tout premier plan des sociétés technologiques de la Silicon Valley qui affichent une idéologie libertarienne dont la profession de foi, dans les traces d’Ayn Rand, appelle à la disparition pure et simple de l’Etat. 

C’est ainsi que de crise en crise, le système bancaire est devenu peu ou prou un service extérieur de l’Etat. Pour éviter d’être le dindon de la farce, ce dernier n’a de cesse de freiner les velléités des actionnaires et du management des banques d’exploiter les failles du système. Avec le résultat que le secteur bancaire est essentiel au fonctionnement d’une économie de marché, mais n’en respecte pas les règles. 

C’est le bazar, la pagaille, le désordre. Pour éviter ce gâchis, il convient d’abord de constater que les déposants n’ont pas la capacité de surveiller les opérations qu’effectue leur banque, et que l’absence d’assurance fragiliserait le système financier et économique en rendant les déposants et les investisseurs plus nerveux. Mais il convient aussi de reconnaître que la garantie des dépôts représente une subvention implicite aux actionnaires, et encourage l’endettement et la prise de risque. Par conséquent, la régulation bancaire doit concerner tous les établissements financiers ayant des dépôts car, quelle que soit leur taille, ils présentent tous un risque systémique. Par ailleurs, la stabilité financière n’est pas l’ennemi de la croissance économique, au contraire, car les crises financières à répétition nuisent à cette dernière. 

Il convient donc de restreindre la prise de risques inconsidérés. Cela passe d’abord par la poursuite de la diminution du levier d’endettement bancaire. Au moment de sa faillite, le ratio des fonds propres au bilan de Lehman Brothers était d’à peine 3%.

Depuis, le ratio d’endettement du système bancaire américain et européen est remonté à un niveau de l’ordre de 10%. Mais rien ne justifie que celui-ci soit largement inférieur à celui des entreprises industrielles et commerciales, de l’ordre de 50%. De plus en plus nombreux sont ceux, à l’instar de Admati et Pfleiderer dans The bankers new clothes, qui plaident pour rapprocher le ratio d’endettement des banques de cet étiage. Décourager la prise de risques inconsidérés passe aussi par l’application de pénalités, à l’encontre du management des banques en faillite, dont les rémunérations variables importantes sont autant d’incitations à la prise de risques pouvant conduire à la faillite. Avec une telle perspective, la direction de la SVB n’aurait pas laissé la banque sans direction de la gestion des risques pendant six mois. Le secteur bancaire n’a pas fini d’être réformé radicalement pour limiter la fréquence et l’intensité des crises financières à répétition.

Bertrand Jacquillat est vice-président du Cercle des économistes et senior advisor de Tiepolo.

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