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De la start up nation à un Mittelstand français

Pourquoi il faut flécher l’épargne vers les ETI ; Par Bertrand Jacquillat , membre du Comité stratégique d’ABV Group – 24/11/2022 –

Qualifier la France de start up nation n’est plus un vain mot. Et le flux de création de start up ne risque pas de se tarir, à en juger par le nombre élevé des diplômés des grandes écoles qui préfèrent l’entreprenariat et la création de leur propre entreprise aux offres, aussi alléchantes soient-elles, qu’ils reçoivent d’entreprises établies. Il en va tout autrement du Mittelstand, ce vivier d’entreprises de taille intermédiaire, qui constituent l’infanterie économique d’un pays, et dont le tissu en France est insuffisant, du fait des difficultés de financement auxquelles elles sont confrontées.

Une entreprise de taille intermédiaire (ETI) est, comme l’aurait suggéré monsieur de La Palice, ni une petite ni une grande entreprise, et se définit selon un certain nombre de critères. Les ETI comptent entre 250 et 4999 employés selon leur degré d’intensité capitalistique, ont un chiffre d’affaires compris entre 50 millions € et 1.5 Mds €, avec un montant d’actifs supérieur à 40 millions €. Selon cette définition, on compte 5400 ETI en France. Elles représentent 25% de l’emploi et 34% des exportations. Elles contribuent au développement équilibré des territoires, dans la mesure où 75% de leurs sites de production sont situés dans des villes de taille moyenne ou en zone rurale, et près de 70% de leurs sièges sociaux en dehors de la région Ile de France.

Le vivier des ETI potentielles en France, celles dont le chiffre d’affaires actuel est compris entre 30 et 50 millions €, est estimé à 5000 entreprises. Actuellement, s’ajoutent chaque année au stock existant environ 180 nouvelles ETI, notamment dans les activités scientifiques et techniques. On trouve des ETI dans tous les secteurs de la vie économique, mais elles sont plus particulièrement concentrées dans l’industrie manufacturière (31% du total), et le commerce de gros et de détail (28%). Il est des secteurs où le nombre d’ETI est faible, et le potentiel de multiplication en quelques années élevé, comme l’agriculture, les arts, l’hôtellerie et la restauration.

Fondé en 1995, le Mouvement des Entreprises de Taille Intermédiaire (METI) fédère les ETI et porte leur voix notamment auprès des pouvoirs publics avec pour ambition de contribuer à créer un Mittelstand français. Pour ce faire le METI s’est associé avec Inbonis, agence de notation spécialisée dans la notation de crédit et la notation extra-financière des PME/ETI, avec la création de l’observatoire Inbonis-METI, qui répond à un triple besoin :

    • Déterminer les bonnes pratiques des ETI pour susciter un effet d’entraînement et améliorer leurs performances globales, en suivant des indicateurs clés de leur performance économique, sociale et sociétale.
    • Inciter et aider les PME à grandir et devenir des ETI.
    • Aligner les pratiques fiscales et réglementaires françaises sur l’environnement économique et fiscal européen.

Certes l’écart entre la France et la moyenne européenne s’est récemment resserré en matière de fiscalité des entreprises, notamment avec la baisse des impôts de production, mais il reste encore du chemin à faire pour que la France soit en ligne avec ses voisins européens. L’observatoire publie un rapport semestriel fondé sur une base de données de plus en plus exhaustive avec l’augmentation du nombre d’ETI notées. Nul doute que cette base de données deviendra une source d’informations précieuse pour la recherche universitaire en finance et économie d’entreprise.

Il s’avère d’ores et déjà qu’un certain nombre d’actions sont nécessaires pour renforcer le bilan des ETI, de même que leurs performances financières doivent être améliorées. Ainsi, 77% des ETI financent des investissements de long terme avec moins d’un tiers en fonds propres. On connaît les mésaventures de l’imprimeur David Séchard, l’un des protagonistes des Illusions perdues de Balzac, qui dut céder aux frères Cointet ses droits sur son invention permettant de produire du papier à moindre coût que la concurrence par l’utilisation de fibres végétales. Dans le contexte économique contemporain, Séchard aurait sans doute trouver des investisseurs pour financer son innovation, lui permettant ainsi de continuer à gérer son entreprise. Même si naguère un certain nombre de solutions ont été apportées au financement des ETI, celles-ci restent insuffisantes. Aussi convient-il de mettre en œuvre des mesures incitatives pour flécher l’épargne vers cette composante essentielle de l’économie réelle.

De même que le bourgeonnement des start-up n’a été rendu possible que par l’émergence d’un acteur, celui du capital risque, de même l’absence d’un maillon dans le financement des ETI constitue un frein à leur développement. Pour peu que soient modifiés un certain nombre d’obstacles réglementaires, les investisseurs institutionnels (fonds de pension, sociétés de gestion ou compagnies d’assurance) pourraient jouer ce rôle de financement avantageusement, à la fois pour les entreprises concernées et pour les épargnants qu’ils représentent.

En effet, les performances d’une entreprise dépendent certes des compétences des dirigeants, mais également d’un facteur chance. Aussi, quel que soit leur niveau de compétence, les équipes dirigeantes hésitent à prendre des risques par trop susceptibles de conduire à l’échec. L’implication d’un investisseur institutionnel permet de surmonter cette frilosité : avec une part suffisamment significative du capital, il effectuera un suivi régulier de l’entreprise et pourra se rendre compte directement du niveau de compétence de ses dirigeants. Et plus l’investisseur institutionnel sera impliqué dans le financement de l’entreprise, plus il les protégera de l’échec d’innovations risquées, les aidant ainsi à surmonter leur aversion au risque. De là découle la corrélation positive constatée entre la présence des investisseurs institutionnels au capital des entreprises et l’intensité des innovations de celles-ci : la part des investisseurs institutionnels dans l’actionnariat d’une entreprise a un impact positif sur le nombre et la qualité de ses brevets (cf. Aghion et al., Le pouvoir de la destruction créatrice, Odile Jacob, 2020). Douze associations professionnelles représentant l’ensemble du secteur financier européen réclament actuellement auprès des autorités de Bruxelles un accès plus facile des PME et des ETI aux marchés de capitaux européens. Nul doute qu’une notation de crédit, en améliorant leur visibilité, leur faciliterait cet accès. Elles appellent par ailleurs à des modifications réglementaires permettant l’implication des investisseurs institutionnels au plus près du tissu industriel, contribuant ainsi au développement d’un Mittelstand français et européen.

Bertrand Jacquillat est vice-président du Cercle des économistes et « senioradvisor » de Tiepolo.

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