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Rachats d’actions : les fausses raisons au cimetière des idées reçues

Sources – Article paru dans l’Opinion – Bertrand Jacquillat est vice-président du Cercle des économistes et senior advisor de Tiepolo – 20/11/2023

« Les rachats d’actions se poursuivent à un rythme effréné à la bourse de Paris », titrait tout récemment un grand quotidien économique. A fin septembre 2023, les sociétés cotées françaises avaient déjà acquis pour 23,3Mds€ de leurs propres titres, et avaient annoncé un montant record de 28Mds€ de rachat d’actions pour l’ensemble de l’année 2023. Environ la moitié devrait être le fait de deux sociétés seulement, une concentration particulièrement élevée. Le palmarès revient à TotalEnergies, porté par des prix du pétrole toujours soutenus. La major pétrolière a en effet annoncé prévoir 9Mds€ de rachat d’actions cette année, tandis que BNP Paribas se trouve en bonne voie pour retourner des liquidités à ses actionnaires en leur rachetant pour 5 Mds€ d’actions à la suite de la cession de sa filiale américaine Bank of the West.

Mais les rachats d’actions sont très encadrés par le droit boursier. En effet les sociétés cotées ne peuvent racheter sur le marché (au fil de l’eau) leurs propres actions que sous certaines conditions : jusqu’à 10% de leur capital dans le cadre d’un programme de rachat d’actions d’une durée maximum de 18 mois, lesquels ne doivent pas représenter plus de 25% du volume moyen des transactions. Le plus fréquemment, les actions acquises sont annulées. Elles peuvent être conservées par l’entreprise pour servir éventuellement de monnaie d’échange en cas d’acquisitions, ou pour être remises aux salariés en cas d’exercice de leurs stock-options. Comptablement, les actions acquises sont déduites du montant des capitaux propres, comme le font les analystes financiers lorsqu’ils réduisent le nombre d’actions en circulation de celles achetées.

Mais pourquoi les entreprises procèdent-elles au rachat de leurs propres actions ? Sauf à ce qu’elles modifient leur structure financière, elles le font, comme pour les dividendes, à partir des résultats qu’elles ont dégagé. Elles pourraient aussi bien affecter tout ou partie de ceux-ci à leur réinvestissement dans l’entreprise, ou au désendettement dans leur bilan. Si elles ne procèdent pas de la sorte, c’est qu’elles estiment ne pas avoir d’opportunités d’investissement suffisamment attractives pour rapporter au moins leur coût du capital, et/ou par ailleurs estiment que leur structure financière est adéquate. Mais les rachats d’actions n’ont pas bonne presse.

Au cimetière des idées fausses figurent en bonne place certaines justifications très partiales du rachat de leurs propres actions par les sociétés : faire monter les cours de l’action, et ainsi favoriser les actionnaires au détriment des autres parties prenantes, répondre au désir des dirigeants de s’enrichir, etc. C’est ainsi que figurait dans le même quotidien évoqué plus haut un article dont le titre exprimait ce motif « La baisse des « buybacks » (les rachats d’actions dans la terminologie américaine) prive Wall Street d’un fort soutien ».

Nous y voilà, les entreprises procèderaient au rachat de leurs propres titres pour soutenir leurs cours et privilégier leurs actionnaires ! Mais, pas plus qu’un retrait à un distributeur automatique de billets de banque n’a jamais enrichi ceux qui l’effectuent, les rachats d’actions, comme les dividendes, n’ont jamais enrichi les actionnaires. C’est juste la composition de leur portefeuille qui s’en trouve modifiée, il comporte davantage de liquidités, mais pas sa valeur qui reste la même.

En cas de rachats d’actions, c’est la valeur des capitaux propres qui baisse du montant de ceux-ci. Pour autant la stabilité de la valeur de l’action se maintient du fait de la hausse du pourcentage de détention que représente chaque action restant en circulation à la suite de l’annulation des actions rachetées. Le bénéfice par action (BPA) et l’observation de son évolution ne constituent pas nécessairement un indicateur de création de valeur et d’évolution de celle-ci. Le problème n’est donc pas de savoir si la réduction de capital, conséquence du rachat d’actions, va entraîner une hausse du BPA, laquelle est mécanique, mais de savoir si le rachat d’actions est créateur de valeur.

Il l’est si l’une ou l’autre des trois sources suivantes de création de valeur se produit : le cours auquel elle est réalisée est inférieur à la valeur estimée de l’action, auquel cas les actionnaires qui ont gardé leurs titres vont bénéficier de cette plus-value implicite ; l’accroissement du poids de la dette dans la structure du bilan du fait de la réduction du montant des fonds propres va se traduire par une meilleure performance des dirigeants, ce qui se traduira par une augmentation des bénéfices futurs ; ou encore les fonds ainsi rendus aux actionnaires auraient une rentabilité dans l’entreprise inférieure à son coût du capital.

Par ailleurs, au niveau macroéconomique, les rachats d’actions constituent de formidables outils de circulation des richesses. Ils permettent en effet de réallouer une ressource rare, les capitaux propres, d’entreprises qui n’en ont plus l’utilité, vers des entreprises qui en ont besoin au stade de développement auquel elles se trouvent. D’autant que l’Europe souffre d’une fragmentation de ses marchés de capitaux et d’une absence d’union bancaire, ce qui ne facilite pas la mobilisation de l’épargne, le développement du capital risque, et le financement des entreprises.

Enfin opposer les rachats d’actions aux investissements est fallacieux sur le plan macroéconomique. Avec 88 Mds€ d’investissements effectués l’année dernière, les sociétés du CAC40 battent leur record historique selon l’étude annuelle de EY. Ce plus haut n’a pas empêché les dividendes versés en 2023 par les entreprises du CAC 40 d’atteindre un record historique à 57 Mds€, de même pour les rachats d’actions à 24 Mds€. Ainsi, les rachats d’actions ne réduisent pas les investissements au niveau macroéconomique, car ce ne sont pas les mêmes sociétés qui sont les championnes des rachats d’actions et celles qui sont les championnes des investissements. Les rachats d’actions des premières contribuent à financer pour partie les investissements des secondes.

Les fondements du fonctionnement d’une économie libérale sont souvent mal compris. Il en est ainsi des motivations qui président aux rachats par les sociétés de leurs propres actions. Celles-ci relèvent d’une saine gestion de leurs capitaux propres. Il convient de laisser au cimetière des idées reçues les fausses raisons qui sont avancées pour les expliquer.

Bertrand Jacquillat est vice-président du Cercle des économistes et membre du comité stratégique d’ABV Group

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